LA CHAISE LONGUE DE GOLDORAK

C’était en 1979. Octobre. J’avais presque 7 ans et j’étais complètement intoxiqué de Goldorak, qui régnait sans partage à la télé française depuis peu. J’achetais, du moins mes parents m’achetaient, les revues éditées par Télé Guide. Elles étaient immondes, mal dessinées, sales, traduites n’importe comment. Quant aux histoires, elles étaient encore plus stupides que celles du dessin animé. Je vous en ai déjà causé ici. Mais c’était Goldorak, et pour moi, elles étaient formidables ! Je lisais ça comme un fou. Chaque image, chaque dialogue était avidement dévoré par mes yeux encore tous neufs. Ils permettaient de patienter la semaine suivante afin de voir un nouvel épisode de mon héros cornu à la télé.
 Un jour de la date cité plus haut, je vis en pleine page dans un de ces magazines crasseux cette publicité :


Ça me tapa dans l’œil de suite. Pourtant, l’idée était salement ridicule. Pensez donc, un transat dans un HLM ! C’est bon pour un jardin ça mais sinon… Je remarque désormais la séduction fausse de l’accroche : « Pour regarder la télévision ». Et ça marchait ! Je me voyais déjà vautré dans cette chaise moche, regardant un épisode sans fin de Goldorak. Comme si le fait d’être assis là-dedans allait améliorer le visionnage. Il fallait être con et, vu mon âge, je l’étais. Il me la fallait donc ! Comme il est aisé de convaincre un petit garçon obnubilé par les OVNI…
J’en parlais de suite à ma mère. Comme toutes les femmes, c’était elle qui avait les cordons de la bourse familiale… Malgré le ridicule de la chose, l’idée de cette chaise lui plut également. Là, c’est carrément de l’encouragement à la bêtise ! Il faut dire que cela faisait un an que nous avions déménagé et que ma chambre, chose nouvelle pour moi, était encore assez vide question meuble. Je suppose qu’elle vît dans ce transat un élément de mobilier supplémentaire pour moi et comme j’avais de la place…
Donc acte ! Ma mère passa commande, par chèque. Nous remplîmes le bon et je crois me rappeler avoir choisi la chaise de couleur bleu, c’était celle qui jurait le moins et se rapprochait le plus des couleurs originales de Goldorak. Je me revois encore expliquer à ma mère que le « corno-fulgure était jaune » et « le rétro-laser rouge ». Elle devait me plaindre à ce moment-là sans doute…

Bon rempli, chèque signé, lettre cachetée et timbrée puis postée. Il n’y avait plus qu’à attendre. J’avais hâte, hâte de recevoir cette chaise, de m’y installer dedans pour regarder chaque Goldorak toutes les semaines. C’était presque une question d’harmonie. Comme cela allait être bien.
Je ne l’ai jamais reçue. Jamais ! Je ne sais si le chèque fut débité ou non et c’est inutile de le demander à ma mère, elle n’a aucun souvenir de cette histoire. La connaissant, je peux en déduire que non car si on l’avait carottée, elle s’en souviendrait. Même 31 ans après.
La chaise longue de Goldorak, c’était simplement de l’arnaque. Peut-être que certains l’ont eue, moi pas. La lettre s’est peut-être perdue, la boîte a peut-être coulé avant qu’elle ne reçoive ma missive, je n’ai jamais su.
Pas de chaise Goldorak. J’ai donc continué à regarder mon épisode hebdomadaire dans le canapé familial déglingué. C’était tout aussi bien.