Les rares films nippons animés qui circulaient sous le manteau provenaient essentiellement du marché américain, Viz Video en tête, traduits avec les pieds et parfois censurés ; très peu de versions originales, toutes n’étaient que des copies transcodées du NTSC au Pal avec des résultats que je n’ose même pas raconter ici.
Même chose pour la « musique japonaise », on ne disait pas encore Jpop. De rares K7 ferro, copie de copie de copie de copie, tournant presque en circuit fermé. Je me rappelle d’un type me proposant en échange d’une de mes K7, une des miennes que j’avais copiée à quelqu’un d’autre plusieurs mois auparavant…
Les plus chanceux avaient des correspondants nippons pouvant les transfuser devant cette anémie généralisée. Mais même comme ça, on était encore loin d’un bain de sang. Une K7 audio de temps en temps, avec les dernières news datant d’il y a six mois minimum, un périodique ou deux issus des karaokés, une K7 vidéo de programmes télé jap pour Noël. Les temps étaient durs, on ne faisait pas les difficiles et on usait jusqu’à la mort le moindre truc que l’on obtenait. On se croirait au XIXe siècle quand on raconte ça maintenant. Le Net a balayé toute cette misère et ce n’est qu’un bien !
Comme toujours, si vous aviez de l’argent, vous pouviez palier à vos instincts de consommation inassouvis. A Paris, une poignée de jeunes gens, sortant tout juste de l’adolescence et désormais largement trentenaires, voire plus, avaient pris l’habitude de faire régulièrement une sorte de « tournée des grands ducs » en version otaku, bien que ce mot n’existait pas encore dans leur vocabulaire. Mais ils en étaient.
Vivant encore pour la plupart chez leurs parents, la vie était belle ! Pas de facture à payer, pas de loyer, pas de frigo à remplir, le moindre centime passait donc dans les loisirs. Pour les fans de japoniaiseries à l’époque, le 11e arrondissement de Paris, c’était un peu l’équivalent de la rue Montgalet pour les geeks de maintenant. Une sorte de Mecque. Une fois la quête effectuée, le paradis était toujours au bout.
Le chemin de pèlerinage était simple. Cela commençait d’abord par un p’tit tour chez Tonkam, « librairie spécialisée » comme on disait. Spécialisée dans les comics américains pour commencer puis largement les mangas et anime ensuite quand ils ont vu que cette mode se révélait extrêmement juteuse. Vendant tout et surtout n’importe quoi en provenance du Japon, l’endroit est rapidement devenu le quartier général de tous les enfants du Club Dorothée avec autant de monde dedans que dehors ! C’était surtout dehors que le spectacle se jouait, avec des gens ne pouvant s’empêcher de prononcer compulsivement les trois mots de jap qu’ils connaissaient, des tics de langage débiles, ancêtres directs des « LOL » et autres » MDR », sans oublier les comportements hallucinants. Il n’y a pas plus con qu’un nouveau fan.
C’était le samedi après-midi que le cirque Tonkam nous donnait sa meilleure représentation. Le magasin et le trottoir étaient bondés. Il m’est arrivé de m’y rendre ce jour là uniquement pour avoir la nausée devant tant de bêtise concentrée. Rassurez-vous, jeunes otakus, ceux qui vous ont précédé, et qui vous regardent de haut désormais, n’étaient pas plus dégourdis que vous ne l’êtes actuellement. J’en ai vu des paumés à Tonkam…
Une fois délestés de quelques économies, nous continuions notre chemin en poussant vers Madoka, situé un peu plus haut que Tonkam, et qui était spécialisé dans les « garage kits », ces maquettes très détaillées à monter et à peindre soi-même. Hormis leur prix, toujours au-delà du plus gros billet de banque de l’époque, c’était également la main d’œuvre à fournir ensuite qui m’a toujours stoppé net. Je n’ai jamais vraiment eu la patience de faire des maquettes et j’étais encore moins équipé pour les peindre. Acheter des pinceaux microscopiques (moins y’a de poils, plus c’est cher !), de la peinture (véritable gouffre à pognon tant il y a de nuances), accessoires, produits chimiques divers et variés etc. Et puis on vous indiquait clairement de suite que, le rendu serait 1000 fois meilleur avec un aérographe et ça, ça valait TRES cher. Donc no way ! On se contenait juste de mater les modèles montés et peints dans une vitrine, eux aussi à vendre mais trois fois plus chers évidemment, en pestant d’impuissance et de frustration.
Sorti de chez Madoka, légèrement énervé, on pouvait se calmer en se rendant chez Katsumi, autre fameuse boutique du 11e arrondissement de l’époque, mais difficile d’accès car située dans une impasse, et vendant un peu de tout. Je m’y suis peu aventuré. Je me rappelle d’un magasin très peu éclairé. A moins que j’avais mes lunettes noires sur le pif…
Enfin, si vous aviez vraiment du blé, mais alors VRAIMENT, vous pouviez toujours tenter votre chance chez Atomic Club. Cette boutique était un supplice permanent pour les fans car il y avait toujours quelques chose de formidable chez eux mais vendu à des prix tellement hallucinants que cela en devenait risible. Je me souviens de posters-papier Lamu à 150frs pièce, de porte-clés Saint Seiya à 500, de LD d’anime à 800… La quatrième dimension, c’était Disneyland à côté d’Atomic Club.
Rien n’était neuf, de l’occasion pur jus en provenance direct des second-hand shops nippons. Et forcément, chez nous, pauvres hères sous-alimentés, ça marchait. Je me suis toujours tenu à distance de ce magasin, même si j’ai pu y claquer quelque argent en shitajiki de Ranma chan, à 40 balles pièce. Mes derniers contacts avec eux datent de mon ancien fanzine, Stardust, qu’ils ont vendu en 1999. Ils ne m’ont jamais payé d’ailleurs. Des arnaqueurs. Fidèles à eux-mêmes finalement.
Après avoir écumé le 11e arrondissement, si vous aviez un peu l’âme voyageuse ce jour là, vous pouviez reprendre le métro et vous rendre dans le quartier St Lazare, station Notre-Dame De Lorette, pour visiter les trois boutiques contigües Samouraï, qui étaient un paradis pour acheteur compulsif de jouets japonais, bien que trop orienté Dragon Ball Z et Sailormoon mais c’était l’époque qui voulait ça, puis finir votre périple en beauté à Junku, quartier Rivoli, qui fut ma principale base de ravitaillement pendant près de dix ans, avec parfois plusieurs visites par semaine dans les débuts. Il y eut une période où je remplissais trois cartes de fidélité en un mois. Et oui…
J’appréciais le choix mais aussi le calme de cette librairie. Dedans, pas de gamins débiles élevés au Club Dorothée et qui cherchaient du « sangokou » et autres « petit cœur »… Il n’y avait que des Japonais. J’étais souvent le seul cul-blanc du magasin. Dépaysement assuré. Et puis il y avait les p’tites vendeuses. Elles étaient mignonnes et les rares mots de français qu’elles connaissaient les rendaient encore plus craquantes. Je les ai beaucoup regrettées lorsque la direction de Junku décida de les remplacer au milieu des années 90 par des Français pur jus, afin de répondre à la demande croissante d’informations sur les produits qu’ils vendaient du fait de l’engouement pour les mangas. C’étaient de véritables larbins mais tout contents de se retrouver derrière le comptoir et se prenant pour des Japonais… Leur arrogance n’avait pas de limite. Heureusement, le Net commençait à débarquer ce qui permit d’espacer les visites.
Bon, certains diront que je suis nostalgique de ces boutiques alors ? Pas du tout ! Vu les prix qu’ils ont toujours pratiqués, véritable escroquerie même pas dissimulée, plumant intégralement leurs clients, qui va les regretter ? Elles ont toutes coulé depuis, mis à part Junku et peut-être Atomic Club, je ne sais pas. Les plus agressives et âpres au gain finalement.
Nostalgique des gens de l’époque ? Pas du tout ! J’ai toujours pris soin d’éviter les bandes de potes de ce genre et encore plus les quelques associations qui existaient à ce moment là, n’y voyant qu’un ramassis de branleurs plus occupés à faire des concours de bite entre eux sur celui qui avait le dernier truc made in Japan ou le plus de contacts. Ces gugusses parlaient beaucoup, rêvaient tout éveillés, se projetaient dans des carrières fameuses au Japon mais n’agissaient pas. De vrais otaku-bidochons avant l’heure ! La plupart n’ont rien fait du tout et n’ont pas émergé après 2000.
Pour ma part, je ne fréquente plus, et depuis de nombreuses années, les quelques clones tristes qui me servaient de chaperons à l’époque. Ils étaient simplement utiles sur le moment. Ça rassure toujours d’avoir quelqu’un à peu près comme soi à ses côtés, en particulier lorsque vous avez des goûts un peu space. « Tu as plus de 20 ans et tu aimes les BD japonaises et les goodies ? Ah ben moi aussi ! » On se sent moins seul. Nos chemins se sont séparés assez rapidement. Quand les seuls points communs sont à base de matérialisme, ça ne peut pas durer bien longtemps.
Nostalgique de quoi alors ? De rien, ou juste d’une sorte d’excitation retrouvée devant toutes ces cochonneries en plastique violement coloré qui s’étalaient devant mes beaux yeux. C’était le début pour moi d’un retour aux sources. Le coffret des Ranma Kids de chez Obara fut l’un de mes premiers jouets achetés à l’âge adulte. C’était en 1994. On peut dire que le Japon et sa sous-culture la plus merdique m’ont permis de faire mon coming out sur les jouets.
Ça avait jasé à l’époque autour de moi quand j’avais ramené ce truc. « Non mais ça va pas non ? Tu retombes en enfance ? C’est quoi ces merdes ? » pouvais-je entendre de la part de mes parents, amis profanes et même de ma copine de l’époque ! Aucune pitié.
Acheté 200frs chez Samouraï, j’étais fier comme tout de ressortir du magasin avec ce gros machin dans un gros sac. J’avais franchi le pas ! J’avais acheté un jouet alors que je n’avais plus l’âge pour ça. C’était comme un second dépucelage ! Quel pied !
Reprenant tous les personnages phares de la série culte de Rumiko Takahashi, ce coffret propose six figurines en version SD, le fameux concept « petit corps mais grosse tête ». La finition est assez grossière. Il y a quelques défauts et la peinture peut parfois déborder de la zone. Le plastique est souple et dégage (encore maintenant) une odeur entre le caoutchouc et un produit chimique non identifié. Maintenant que j’y pense, c’est peut-être du celluloïd ? Devrais-je approcher une flamme d’une de ces figurines pour en avoir la preuve ?
Les visages sont ressemblants mais pas trop non plus. On sait que c’est Untel grâce à son costume. Sans, on aurait un peu de mal parfois. Pour Akane, par exemple, en duo avec Genma, il faut se creuser un peu pour comprendre que c’est elle. Cela dit, les visages des garage-kits n’étaient pas non plus très fidèles dans mon souvenir.
La figurine la plus réussie restera sans nul doute celle de Ukyô, la reine des okonomiyaki. Souriante, longiligne, avec sa grande pelle à crêpe, sa simple vue met de bonne humeur. Ranma chan est, hélas, la plus ratée. Possédant un ensemble orange (beuh…), elle se vautre pour attraper P-chan, mais la pose est mal fichue, le cochon lui rentre carrément dans la joue.
Les experts auront vu de suite que ce coffret est un faux chinois probablement sorti sans autorisation et sans doute sans aucun respect des normes. Il n’y a d’ailleurs aucun code-barres sur la boîte ni copyright, rien. Mais question goodies, et surtout jouets sur Ranma, c’était ça ou les garage-kits à 900 balles ! Il fallait choisir. J’ai choisi.
Plus que le symbole, c’est un coffret très amusant malgré son origine clandestine évidente, et qui a toujours eu beaucoup de succès chez les filles.
ahh l'époque tonkam....
RépondreSupprimerJ'y ai vécu tout mes samedis de 1994 a 2000 environ.
j'en garde une certaine nostalgie surtout pour les amitiés que j'ai forgées à user mes guêtre jusqu'à la corde devant Tonkam et Ratomic club.... Cela dit je plussoie totalement sur le concept de "boutiquiers arnaqueurs" quand tu parles de ces magasins.
Ca me rappelle un commentaire de Gérard le propriétaire d'Atomic club; pour qui j'ai bossé lors de conventions. Lorsque je m'étonnais des prix énormes des produits il m'a répondu avec "candeur": "Mais pourquoi je devrais les mettre moins cher? S'ils sont prêts a payer ce prix autant les vendre a ce tarif!"
Au passage tu a oublié une boutique (volontairement je pense au vu de ce qu'elle vendait) qui était la fin de la tournée généralement (en fait la tournée finissait au Mac Do d'à côté mais chuuuut):
Konci et ses imports chinois (1/4 du prix japonais pour quasiment la même chose!)
du pirate pur jus mais on finissaient tous pas avopir 2/3 de notre collection de CD en SM records ^^
Je n'ai pas parlé de Konci pour une raison bien simple, c'est que je savais déjà à cette époque qu'ils vendaient de la copie chinoise et donc, je n'y allais jamais. J'ai dû y mettre les palmes trois ou quatre fois dans toute ma vie. J'étais déjà snob à l'époque, aha! Enfin, pas pour tout car, justement, j'étais assez friands des Cd SM Record. Qui n'a jamais succombé à ces copies chinoises à 100frs pièce? Surtout lorsqu'on voyait les prix des Cd originaux japonais à Junku, quasiment 300 balles... J'ai acheté la plupart de ces Cd à Samouraï à l'époque.
RépondreSupprimerQuant à la réaction du patron d'Atomic Clun, c'est extrêmement cynique mais il a parfaitement raison et plus de 15 ans après, c'est ce qui se passe encore à Japan Expo, avec des produits vendus 10% plus chers que le reste de l'année.
c'est une des raisons pour lesquelles je mets plus les pieds en convention...
RépondreSupprimerpourquoi payer pour eller dans un supermarché 20% plus cher que mes boutiques habituelles du net?
De toute façon, les conventions, il y a un âge où il faut s'arrêter je crois. J'en ai fait deux dans ma vie en tant qu'exposant, BD Expo 97 et 98 et ça m'a LARGEMENT vacciné. Je n'ai pas eu besoin d'attendre d'avoir la trentaine pour me dire que j'étais trop vieux pour ça. L'ambiance m'a suffit. Qu'est-ce que ça doit être maintenant... o_O;
RépondreSupprimerLa boutique que tu parles c'est un peut comme Luluberlu (pour ne pas le cité) maintenant.
RépondreSupprimerDes produits d'époque à un prix en euros plus élevé que le prix en francs de l'époque...
Et bonjour leur réponse, quand tu demande la raison..
Ils sont marrants eux oui mais pourquoi se priver quand on a des moutons qui sont prêts à payer le prix fort sans broncher? Et ils reviennent en plus! Alors...
SupprimerTrès bon résumé de ces années 90. C'est tout à fait cela.
RépondreSupprimer"Le cirque Tonkam", ouarf ! Vivant dans une ville de province, à peine ado en 90 et un peu jeune pour avoir de l'argent de poche (que de toute manière mes parents ne m'ont jamais donné ce n'était pas dans leur culture parentale), et surtout depuis toujours bien plus accroché aux comics qu'aux mangas, je serais bien hypocrite de prétendre avoir connu tout ça, mais ma ville "bénéficiait" d'un magasin qui a été pionnier dans le domaine et j'ai vu je peux le dire des pelletées de comportement déments à l'époque. Surtout je me suis rattrapé sur le tard car à la fin des 90's j'ai baigné - et je peux vraiment même dire "mariné"- dans la culture manga. J'ai vécu avec des mecs qui passaient des nuits ENTIÈRES à travailler des combos de Tekken ou SF2 sur fond de musique nippone mais mauvaise. Je m'en suis farci des comportements aberrants, avec mon lot de mythomanes, de prétentieux, de fanatiques, de snobinards.
RépondreSupprimerJ'ai moi-même longtemps acheté quantité de ces merdes, ou d'autres, avant de réaliser avec effroi l'horrible vérité : le plus maboul, le plus couillon, le plus cintré, ce n'est pas le ramassis de tarés qui se déguisent/baragouinent un mauvais jap/claquent leur RMI dans ces merdes. Ce n'est certainement pas le mec qui vend tout ça.
Le plus taré, c'est celui qui sait que c'est de la foutaise et qui y revient. Comme tu dis aujourd'hui encore ces commerces sont bondés. Fou ça.
Je suis retourné à Bastille cette semaine, refaisant le même trajet, avec difficultés, que je faisais presque hebdomadairement voilà 20 ans de cela, lorsque je m'en allais faire provision de lectures nippones. Je n'y étais pas revenu depuis plus de 10 ans. Tout a bien changé. Quelques repaires sont encore là, une église, un vendeur de rasoirs électriques et sa devanture défraîchie... Le reste a été remplacé par des restos à kebab ou de la fripe bon marché. Tonkam n'existe plus, je le savais déjà. La rue Keller conserve quelques stigmates "manga" de ces années avec quelques rares boutiques faisant encore de la "japoniaiseries" mais assez généraliste (goodies, cinéma, fringues gothopouf etc.) Atomic Club n'existe plus non plus je crois, si je ne me suis pas trompé de rue (Trousseau). La mode japonaise est passée, eux aussi. Ne reste plus que des souvenirs, et pas toujours bons.
RépondreSupprimerDe toute manière la conclusion générale c'est que c'était de la chiotte, non ?
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